Le fragile Hôpital des enfants fragiles Principes d’éthique médicale européenne : Article 25 « Le médecin agissant individuellement ou par l’intermédiaire des organisations professionnelles a pour devoir d’attirer l’attention de la collectivité sur les insuffisances dans les domaines de la qualité des soins et de l’indépendance professionnelle des praticiens » Comme exigé par l’éthique, nous, pédiatres et soignants spécialistes de l’enfant, attirons une nouvelle fois l’attention de la collectivité et des instances dirigeantes sur la mise en danger actuelle des patients et en particulier des enfants. La crise de l’hôpital public et sa paupérisation exposent en priorité, comme toujours, les plus vulnérables à la dégradation des soins et en première ligne les enfants. Quatre vingt quinze pour cent des soins hospitaliers de l’enfant ont lieu à l’Hôpital public sans aucune autre alternative, sur l’ensemble du territoire. Huit cent mille enfants naissent en France chaque année et notre pays est fier de sa natalité ; encore faut-il assurer à ces enfants un avenir. L’Organisation Mondiale de la Santé dit que « L’avenir de toutes les sociétés repose sur les enfants, dont il faut absolument assurer la santé, la croissance et le développement ». Les pédiatres sont déchirés entre d’une part, une médecine de pointe innovante qu’ils ont su développer, accompagner et défendre au niveau international dans les hôpitaux et, d’autre part, des moyens de plus en plus insuffisants pour permettre l’accueil et les soins auxquels tout enfant a droit au sein de ces mêmes hôpitaux. La pédiatrie et la pédopsychiatrie sont considérées par nos tutelles (ministère de la santé et ministère des finances) comme des disciplines coûteuses et non concurrentielles dans leur projet d’hôpital-entreprise rentable. Elles sont évaluées avec des outils inadaptés voire absurdes et financées arbitrairement sans considérer les besoins de santé spécifiques de l’enfant. Comble du cynisme, le financement dédié aux enfants atteints de maladies rares dans le cadre des plans nationaux (PNMR) est détourné dans de nombreux hôpitaux pour combler un déficit budgétaire préétabli chaque année par nos tutelles. Les injonctions contradictoires pleuvent : plus d’activités, moins de moyens, en améliorant la qualité du soin. En résumé, on nous demande de fabriquer la corde avec laquelle notre discipline doit être pendue. La crise de l’hôpital public expose les enfants à être moins bien soignés voire même à être mis en danger par l’insuffisance des moyens. Nous assistons à une aggravation de la désertification des ressources médicales et paramédicales pédiatriques y compris dans des hôpitaux emblématiques de la médecine pédiatrique. Cela se traduit par des centaines de lits fermés en pédiatrie, par décision administrative ou par manque de personnel soignant. Cette situation de crise est vécue désormais quotidiennement par les équipes comme une médecine de guerre : choisir quel enfant hospitaliser en priorité, différer des chirurgies indispensables à ces enfants (fractures, appendicite, traumatisme crânien voire parfois greffe d’organes ou chirurgie cardiaque), transférer des enfants instables dans des réanimations à plus de 200 Km de leur domicile, garder des enfants dans des services non spécialisés et sous pression, faute de place dans un service adapté, avec une réelle perte de chance voire un risque vital pour le patient. Le cas de la pédopsychiatrie est emblématique : elle ne fait pas d’acte codifié, elle prend soin des enfants de façon pluridisciplinaire et n’est donc pas rentable dans le modèle actuel, ni à l’hôpital ni dans les secteurs. Elle manque de moyens humains et matériels. Il n’y a pas suffisamment de lits d’hospitalisation spécifiques pour ces enfants et adolescents dont le trouble psychiatrique les met en danger. Dans les services de Réanimation Pédiatrique partout en France, la situation est devenue critique. Récemment dans un service parisien utilisant les techniques de réanimation les plus lourdes, la plus ancienne infirmière avait 6 mois d’ancienneté ! Un autre service parisien a refusé 35 patients en une semaine au mois d’octobre en raison de 4 lits fermés. Dans un autre service ce sont de nouveaux 4 lits qui sont fermés depuis plusieurs mois faute d’infirmières. Nos tutelles ont été jusque là sourdes à nos alertes répétées, nous proposant de simples pansements sur des plaies béantes, sous forme de réunions stériles, restructurations et « commissions du bien-vivre » alors qu’il s’agit avant tout de moyens financiers et humains à allouer aux soins des enfants ainsi que de la reconnaissance de l’expertise des équipes soignantes. Qu’un enfant meure d’une maladie grave et incurable est une réalité douloureuse mais inhérente à notre métier. Qu’un enfant risque de mourir ou d’avoir des séquelles graves faute de soins donnés en temps et en heure en l’absence de moyens est une injustice qui n’est pas compatible ni avec le serment d’Hippocrate ni avec notre engagement professionnel. C’est un crève-coeur pour chacun d’entre nous et notre devoir de le dénoncer. Dr Mélodie Aubart, Neuropédiatre Pr Stéphane Dauger, Réanimateur pédiatrique Pr Isabelle Desguerre, Neuropédiatre Pr Olivia Gillion-Boyer, Néphropédiatre Dr Paola Velasquez, Pédopsychiatre ………..