Madame Agnès Buzyn a dit… Près de 250 services d’urgences sont aujourd’hui en grève dans toute la France. Les personnels soignants et médicaux avec leurs syndicats demandent la réouverture de lits d’hospitalisation pour des patients de tous âges afin d’améliorer l’aval des services d’urgence, la création de postes d’infirmières, d’aides-soignantes et de médecins ainsi qu’une amélioration de la rémunération et des conditions de travail de toutes les catégories de personnel. Madame Agnès Buzyn, Ministre des solidarités et de la santé, était le 29 août dernier invitée à participer à un débat sur la santé organisé à l’occasion de l’université d’été du MEDEF. S’exprimant sur la crise des urgences, elle a évoqué le problème du « consumérisme médical : la consommation de soins a complètement changé dans notre pays (…). Quand on a un enfant avec de la fièvre à 8 heures du soir, plus personne ne téléphone à un médecin pour essayer d’avoir un rendez-vous le lendemain. On se rend avec notre enfant aux urgences parce qu’on va avoir la biologie, un examen clinique, peut-être une radio des poumons. Ça va nous rassurer. En réalité, les urgences sont la porte d’entrée du système de soins, quelle que soit la pathologie, l’âge, etc. Nous devons donc repenser le système à l’aune de ce consumérisme médical ou chacun cherche l’immédiateté du diagnostic et des examens, où plus personne ne tolère d’attendre deux jours un rendez-vous. » Comment Madame Buzyn peut-elle oser dire qu’il suffit le soir à 20 h de « téléphoner à un médecin » pour obtenir un rendez-vous alors que le nombre de médecins en exercice en cabinet libéral est en chute libre, y compris dans les grandes villes ou même à Paris, et ce depuis plusieurs années. La raison principale de cette pénurie de médecins est le maintien prolongé à un niveau extrêmement bas et par tous les gouvernements successifs du numerus clausus à l’entrée des études de médecine. La démographie médicale en ville, dans beaucoup de territoires, ne permet plus de faire face aux besoins de la population. Selon l’Atlas du CNOM, le nombre de médecins généralistes ou de pédiatres va encore diminuer jusqu’en 2025. Il est par ailleurs bien compréhensible et légitime que les familles s’inquiètent lorsque leur enfant présente une fièvre élevée, surtout s’il a moins d’un an. Il ne s’agit pas de « consumérisme médical » ! En effet les pédiatres sont unanimement d’accord au niveau international pour dire qu’en particulier avant l’âge de 3 mois une fièvre peut être le symptôme révélateur d’une infection bactérienne potentiellement grave, à traiter de façon urgente par antibiotiques. Pour confirmer cette possibilité d’origine bactérienne, un enfant de cet âge doit être examiné très rapidement par un médecin puis prélevé afin de réaliser des examens biologiques et d’imagerie qui permettront de prescrire rapidement les antibiotiques. Madame Buzyn devrait savoir que dans de nombreux cas, surtout en fin de journée après 18h, tout cela n’est réalisable qu’en étant admis rapidement sans « attendre le lendemain » dans un service hospitalier d’urgences pédiatriques. C’est donc l’intérêt du patient qui prime avant tout ! Madame Buzyn ne peut pas non plus ignorer que de nombreuses zones rurales sont devenues, faute de médecins, des déserts médicaux sans permanence de soins ambulatoire effective et que de nombreux cabinets ne travaillent plus que sur rendez-vous ou ne peuvent plus effectuer de visite à domicile. Après 18 ou 20h, les urgences hospitalières sont donc bien souvent la seule solution de recours efficace ! Les propos de la Ministre de la Santé font décidément preuve d’une profonde méconnaissance des problèmes posés, d’un déni de la situation et surtout d’un grand mépris pour les enfants et leurs familles ainsi que pour les personnels hospitaliers. Dr Jean-Louis Chabernaud, pédiatre-réanimateur à l’Hôpital Antoine-Béclère de Clamart, AP-HP. Université Paris Saclay.